dimanche 29 avril 2012

Le spectacle de la grève étudiante


Jusqu’à maintenant, j’ai peu osé m’exprimer devant la grève étudiante, si l’on peut la qualifier de ce nom par peur de devoir me ranger absolument d’un côté ou de l’autre. Mais rendu à ce stade, le mouvement semble avoir perdu son sens réel et semble devenir un enjeu opportuniste, tant du côté étudiant que du côté gouvernemental.

Les mouvements étudiants parlent du «printemps québécois» et la CLASSE propose d’élargir les objectifs qui s’étalaient maintenant plutôt à la question de la hausse des droits de scolarité, à une révolte réunissant toute la population contre le gouvernement, qui semble de plus en plus rouler dans la corruption. On revendique donc la démocratie pour justifier l’indignation des étudiants contre un gouvernement qui ne sert pas les intérêts du peuple. Mais personnellement, je trouve quelque peu insultant que le mouvement étudiant ose se comparer à un peuple qui a été massacré par milliers par des régimes autoritaires où aucune liberté d’expression n’est permise.

Le mouvement de la CLASSE tente d’illustrer qu’il est démocratique en ne possédant pas de chef direct, mais plutôt dirigé par un certain nombre de porte-paroles. Cependant, cette caractéristique me semble plutôt ironique puisque je n’ai  quasiment lu que le nom de M. Gabriel Nadeau-Dubois aux nouvelles alors que les opinions de Mme Jeanne Reynolds ne semblent qu’être peu entendues ou pas du tout, alors qu’elle est aussi porte-parole du mouvement et donc égale à M. Nadeau-Dubois. La CLASSE, selon moi, a obtenu l’hégémonie de la direction du débat par des moyens médiatiques, pas si différents que ça en fin de compte des moyens utilisés par les politiciens.

Il est aussi assez contradictoire de critiquer le gouvernement de son manque de démocratie quand les étudiants participant aux manifestations bloquent l’accès aux cours de ceux ayant reçu une injonction. Montesquieu, dans l’Esprit des lois, posait comme caractéristique démocratique la capacité de pouvoir s’éduquer afin de pouvoir juger de l’état des choses par soi-même. Peu importe les conditions économiques ou politiques, le droit individuel à l’éducation doit primer une supposée solidarité étudiante, qui ne fait qu’avancer les droits d’un groupe. Ce n’est pas en empêchant la liberté d’autrui que l’on peut faire avancer sa propre cause.

Pour ajouter, la longue période de refus de la CLASSE de dénoncer la violence et son ambigüité face à la définition de la désobéissance civile vient miner toute sa crédibilité comme mouvement démocratique. Ils dénoncent la violence policière, mais n’ont aucun problème à supporter des individus qui représentent un danger public.

Quant à la hausse des frais de scolarité eux-mêmes, je campe sur ma position de neutralité en tant qu’étudiant ontarien. Cependant, l’argument de la scolarité gratuite de la CLASSE (la FECQ et la FEUQ si j’ai bien compris sont plutôt en faveur d’un gel) est construit sur une méconnaissance de son application au niveau international. Par exemple, la CLASSE cite souvent le système français en exemple qui, en réalité, est loin d’être égalitaire. Il est vrai que les universités financées publiquement sont complètement gratuites pour les citoyens français, mais leur qualité est médiocre et les professeurs sont surchargés. On s’aperçoit plutôt d’une effervescence d’universités privées qui coutent de 4000 à 8000 euros et qui deviennent peu à peu le standard pour le marché du travail. De plus,  en Norvège, il est obligatoire d’entreprendre un an de service militaire afin de pouvoir accéder à des études postsecondaires gratuites. Pas sûr que les étudiants voudraient servir un an dans l’armée!

Je ne veux toutefois pas que l’on m’accuse d’être un sympathisant du gouvernement Charest et de trahir la population étudiante, dont je fais partie. En effet, je crois que ce gouvernement sent la corruption des miles à la ronde, comme tout gouvernement qui est resté trop longtemps au pouvoir. Selon moi, il utilise même la manifestation étudiante afin de pourvoir à ses intentions politiques.

En faisant durer la crise pendant le plus longtemps possible, le gouvernement Charest a commis une grande irresponsabilité et il aurait dû réagir beaucoup plus rapidement. Les manifestations ont dégénéré en violences qui n’étaient pas part de la manifestation étudiante initiale. Le gouvernement a un avantage à cette grande médiation des manifestations puisque cela concentre l’intérêt public hors des scandales entourant le financement occulte des partis politiques et la corruption au sein du milieu de la construction. D’après un sondage Léger Marketing pour le Journal de Montréal, l’appui de la population envers le mouvement étudiant a aussi baissé pour s’établir à 38% (il est aussi curieux de savoir que 40% de la population québécoise ne paye pas d’impôts sur le revenu).

Pauline Marois, quant à elle, utilise aussi le mouvement étudiant à son propre avantage. En réalité, les péquistes ont tant changé d’opinion sur le gel des frais de scolarité qu’il est dur de cerner leur réelle position. Il est aussi un peu contradictoire qu’ils proposent en même temps le souverainisme, qui provoquerait alors probablement la cessation des paiements de péréquation, où le coffre public serait amoindri. 

Selon moi, un remboursement proportionnel de la dette étudiante est beaucoup plus réaliste et égalitaire que tout ce que proposent les étudiants jusqu’à maintenant. Il est assez évident que l’avantage immédiat d’un diplôme en arts libéraux est moins grand que celui d’un diplôme en ingénierie ou en commerce, qui, statistiquement, offre un salaire plus élevé immédiatement après avoir gradué.  Il serait donc logique d’échelonner ce remboursement sur la réalité du marché du travail et cela n’empêcherait pas l’accessibilité aux études.

Somme toute, je déplore toute tactique opportuniste et jusqu’à maintenant, les deux parties belligérantes au conflit n’ont pas fait preuve d’une réelle ouverture d’esprit et d’une volonté de trouver une fin au conflit. Le mouvement étudiant, d’une part, n’agit pas en son propre intérêt en ne proposant qu’une utopie et non des réelles solutions de changement qui pourraient être considérées lors d’une négociation. Le gouvernement, d’autre part, profite de cette faiblesse du mouvement étudiant pour attiser la sympathie de la population générale. Quant à moi, je ne peux qu’être présent en tant que spectateur à ce cirque public.
Le Droit, 28 avril 2012

1 commentaire:

  1. Je ne suis pas d'accord avec tous tes arguments, mais je trouve que c'est très bien exprimé. Je suis aussi Ontarienne ici immigrée ici depuis huit ans et même si je ne suis pas d'accord avec tous les revendications des étudiants (la gratuité par exemple) je crois qu'ils (les étudiants) mènent une bataille exceptionnelle mais nécessaire qui va réussir au moins à faire parler la population; une population qui a besoin de se réveiller et de prendre conscience de ses acquis afin de ne pas les perdre!

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