Jusqu’à maintenant,
j’ai peu osé m’exprimer devant la grève étudiante, si l’on peut la qualifier de
ce nom par peur de devoir me ranger absolument d’un côté ou de l’autre. Mais
rendu à ce stade, le mouvement semble avoir perdu son sens réel et semble devenir
un enjeu opportuniste, tant du côté étudiant que du côté gouvernemental.
Les mouvements
étudiants parlent du «printemps québécois» et la CLASSE propose d’élargir les
objectifs qui s’étalaient maintenant plutôt à la question de la hausse des
droits de scolarité, à une révolte réunissant toute la population contre le
gouvernement, qui semble de plus en plus rouler dans la corruption. On
revendique donc la démocratie pour justifier l’indignation des étudiants contre
un gouvernement qui ne sert pas les intérêts du peuple. Mais personnellement,
je trouve quelque peu insultant que le mouvement étudiant ose se comparer à un
peuple qui a été massacré par milliers par des régimes autoritaires où aucune
liberté d’expression n’est permise.
Le mouvement de la
CLASSE tente d’illustrer qu’il est démocratique en ne possédant pas de chef direct,
mais plutôt dirigé par un certain nombre de porte-paroles. Cependant, cette
caractéristique me semble plutôt ironique puisque je n’ai quasiment lu que le nom de M. Gabriel Nadeau-Dubois
aux nouvelles alors que les opinions de Mme Jeanne Reynolds ne semblent qu’être
peu entendues ou pas du tout, alors qu’elle est aussi porte-parole du mouvement
et donc égale à M. Nadeau-Dubois. La CLASSE, selon moi, a obtenu l’hégémonie de
la direction du débat par des moyens médiatiques, pas si différents que ça en
fin de compte des moyens utilisés par les politiciens.
Il est aussi assez
contradictoire de critiquer le gouvernement de son manque de démocratie quand
les étudiants participant aux manifestations bloquent l’accès aux cours de ceux
ayant reçu une injonction. Montesquieu, dans l’Esprit des lois, posait comme
caractéristique démocratique la capacité de pouvoir s’éduquer afin de pouvoir
juger de l’état des choses par soi-même. Peu importe les conditions économiques
ou politiques, le droit individuel à l’éducation doit primer une supposée
solidarité étudiante, qui ne fait qu’avancer les droits d’un groupe. Ce n’est
pas en empêchant la liberté d’autrui que l’on peut faire avancer sa propre cause.
Pour ajouter, la
longue période de refus de la CLASSE de dénoncer la violence et son ambigüité
face à la définition de la désobéissance civile vient miner toute sa
crédibilité comme mouvement démocratique. Ils dénoncent la violence policière,
mais n’ont aucun problème à supporter des individus qui représentent un danger
public.
Quant à la hausse des
frais de scolarité eux-mêmes, je campe sur ma position de neutralité en tant
qu’étudiant ontarien. Cependant, l’argument de la scolarité gratuite de la
CLASSE (la FECQ et la FEUQ si j’ai bien compris sont plutôt en faveur d’un gel)
est construit sur une méconnaissance de son application au niveau
international. Par exemple, la CLASSE cite souvent le système français en
exemple qui, en réalité, est loin d’être égalitaire. Il est vrai que les
universités financées publiquement sont complètement gratuites pour les
citoyens français, mais leur qualité est médiocre et les professeurs sont
surchargés. On s’aperçoit plutôt d’une effervescence d’universités privées qui
coutent de 4000 à 8000 euros et qui deviennent peu à peu le standard pour le
marché du travail. De plus, en Norvège,
il est obligatoire d’entreprendre un an de service militaire afin de pouvoir
accéder à des études postsecondaires gratuites. Pas sûr que les étudiants
voudraient servir un an dans l’armée!
Je ne veux toutefois
pas que l’on m’accuse d’être un sympathisant du gouvernement Charest et de
trahir la population étudiante, dont je fais partie. En effet, je crois que ce
gouvernement sent la corruption des miles à la ronde, comme tout gouvernement
qui est resté trop longtemps au pouvoir. Selon moi, il utilise même la
manifestation étudiante afin de pourvoir à ses intentions politiques.
En faisant durer la
crise pendant le plus longtemps possible, le gouvernement Charest a commis une
grande irresponsabilité et il aurait dû réagir beaucoup plus rapidement. Les
manifestations ont dégénéré en violences qui n’étaient pas part de la
manifestation étudiante initiale. Le gouvernement a un avantage à cette grande
médiation des manifestations puisque cela concentre l’intérêt public hors des
scandales entourant le financement occulte des partis politiques et la
corruption au sein du milieu de la construction. D’après un sondage Léger
Marketing pour le Journal de Montréal, l’appui de la population envers le
mouvement étudiant a aussi baissé pour s’établir à 38% (il est aussi curieux de
savoir que 40% de la population québécoise ne paye pas d’impôts sur le revenu).
Pauline Marois, quant
à elle, utilise aussi le mouvement étudiant à son propre avantage. En réalité,
les péquistes ont tant changé d’opinion sur le gel des frais de scolarité qu’il
est dur de cerner leur réelle position. Il est aussi un peu contradictoire
qu’ils proposent en même temps le souverainisme, qui provoquerait alors
probablement la cessation des paiements de péréquation, où le coffre public
serait amoindri.
Selon moi, un
remboursement proportionnel de la dette étudiante est beaucoup plus réaliste et
égalitaire que tout ce que proposent les étudiants jusqu’à maintenant. Il est
assez évident que l’avantage immédiat d’un diplôme en arts libéraux est moins
grand que celui d’un diplôme en ingénierie ou en commerce, qui,
statistiquement, offre un salaire plus élevé immédiatement après avoir gradué. Il serait donc logique d’échelonner ce
remboursement sur la réalité du marché du travail et cela n’empêcherait pas
l’accessibilité aux études.
Somme toute, je
déplore toute tactique opportuniste et jusqu’à maintenant, les deux parties
belligérantes au conflit n’ont pas fait preuve d’une réelle ouverture d’esprit
et d’une volonté de trouver une fin au conflit. Le mouvement étudiant, d’une
part, n’agit pas en son propre intérêt en ne proposant qu’une utopie et non des
réelles solutions de changement qui pourraient être considérées lors d’une
négociation. Le gouvernement, d’autre part, profite de cette faiblesse du
mouvement étudiant pour attiser la sympathie de la population générale. Quant à
moi, je ne peux qu’être présent en tant que spectateur à ce cirque public.
Le Droit, 28 avril 2012
Je ne suis pas d'accord avec tous tes arguments, mais je trouve que c'est très bien exprimé. Je suis aussi Ontarienne ici immigrée ici depuis huit ans et même si je ne suis pas d'accord avec tous les revendications des étudiants (la gratuité par exemple) je crois qu'ils (les étudiants) mènent une bataille exceptionnelle mais nécessaire qui va réussir au moins à faire parler la population; une population qui a besoin de se réveiller et de prendre conscience de ses acquis afin de ne pas les perdre!
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